Léon Lhermitte (1844-1925) La Leçon de Claude Bernard, 1889

Contexte historique

Observer pour apprendre

“Le visible ouvre nos regards sur l'invisible.”

L‘histoire de l’expérimentation animale remonte d’une certaine manière à l’Antiquité. En effet l’espèce humaine a très tôt éprouvé la curiosité d’aller regarder ce qui se passe à l’intérieur des êtres vivants eu égard à nos similitudes.

On retrouve des formes d’expérimentation animale dès le IVème siècle avant JC.  Des philosophes tels qu’Anaxagore de Clazomènes, pratiquaient déjà des dissections anatomiques sur les animaux, ce dernier fût le premier à découvrir par exemple que les poissons respirent par des branchies. Des philosophes et polymathes tels qu’Aristote, des médecins comme Hippocrate ou Galien de Pergame ont pratiqué la dissection de cadavres aussi bien que d’animaux vivants, en particulier sur le porc et le singe.

Ainsi étudier l’animal pour accroître nos connaissances sur nous-mêmes a très tôt relevé de l’évidence.

Par la suite, pour diverses raisons, notamment religieuses, les expériences connaissent un déclin pendant le Moyen-Age. Elles ne reprendront qu’à partir de la Renaissance avec des scientifiques tels que Vésale considéré comme le plus grand anatomiste de l’époque. En privilégiant la vue et le toucher, Vésale met en place de nouvelles méthodes pour aborder la connaissance du corps humain. En 1539, il obtient qu’on lui cède des cadavres de condamnés pour les dissections publiques. Il réalise lui-même un grand nombre de schémas anatomiques détaillés, et fait dessiner par des artistes des planches anatomiques de grande précision et de bien meilleure qualité que celles produites auparavant.

La trompe d’Eustache, a été décrite pour la première fois en 1543 par le médecin Italien Eustachi qui en fait certes une description exacte mais en détermine également le fonctionnement. On commence à « reconnaître sur le vivant les fonctions des organes dont la dissection avait identifié la position et la structure sur le cadavre ».

Claude Bernard

L'hypothèse préalable à l'expérience

Claude Bernard dans « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale », 1865, écrit :

Pour être digne de ce nom, l’expérimentateur doit être à la fois théoricien et praticien. S’il doit posséder d’une manière complète l’art d’instituer les faits d’expérience, qui sont les matériaux de la science, il doit aussi se rendre compte clairement des principes scientifiques qui dirigent notre raisonnement au milieu de l’étude expérimentale si variée des phénomènes de la nature. Il serait impossible de séparer ces deux choses : la tête et la main. Une main habile sans la tête qui la dirige est un instrument aveugle ; la tête sans la main qui réalise reste impuissante.

C’est donc au XIXème siècle que s’opère le véritable tournant. A compter de cette période, l’expérimentation sur les animaux devient une pratique systématique, et c’est avec Claude Bernard que naît l’expérimentation animale telle qu’on l’entend au sens moderne. C’est-à-dire avec une réelle approche méthodologique et rigoureuse, et se basant sur des hypothèses.

En ce qui concerne l’expérimentation animale, il se refuse à toute sensibilité à la souffrance animale :

« Il est essentiellement moral de faire sur un animal des expériences quoique douloureuses et dangereuses pour lui, dès qu’elles peuvent être utiles pour l’homme ».

À la suite de Claude Bernard, ce fut Louis Pasteur qui fit de la vivisection un des piliers de la recherche médicale, imité par de nombreux successeurs jusqu’à aujourd’hui, avec les expériences autour des greffes, xénogreffes et des transplantations.

C’est pour cette raison qu’au XIXème siècle émerge véritablement un courant antivivisectionniste. Les opposants à la vivisection le sont pour des raisons morales, déplorant le caractère cruel de cette pratique et la qualifiant d’intolérable. Ceci conduit à l’apparition, à la fin du XIXème siècle, des législations visant à encadrer l’expérimentation animale, et l’anesthésie se développe progressivement.

Les prémices des 3R

Marshall Hall (1790-1857) physiologiste anglais, préconise de réglementer les procédures utilisées sur les animaux en physiologie afin de préserver le bien-être animal.

En 1835, il énonce 5 principes régissant l’Expérimentation Animale

  • Une expérience ne doit jamais être réalisée si les informations nécessaires peuvent être obtenues par des observations ;
  • Aucune expérience ne doit être réalisée sans un objectif clairement défini et réalisable ;
  • Les scientifiques doivent être bien informés du travail de leurs prédécesseurs et de leurs pairs afin d’éviter la répétition inutile d’expériences ;
  • Des expériences justifiables devraient être menées avec le moins de souffrance possible (souvent en utilisant des animaux plus faibles et moins sensibles);
  • Chaque expérience doit être réalisée dans des circonstances offrant les résultats les plus clairs possibles, réduisant ainsi la nécessité de les répéter.
Marshall Hall

L'évolution de la législation

C’est dans ce contexte qu’apparaît en France le 25 juillet 1791 la première loi de protection de l’animal. L’empoisonnement d’un animal par vengeance est qualifié de crime. Il est protégé, mais en tant que propriété d’autrui.

On assiste dès lors à une prise de conscience collective et des législations apparaissent partout en Europe pour protéger les animaux.

En France, la loi Grammont est votée en 1850. Elle est axée sur la protection de l’animal domestique contre les mauvais traitements en public (amende pour les cochers en cas de mauvais traitements aux chevaux).

Le recours à l’anesthésie devient obligatoire avec la publication de l’Animals Anesthetic Act de 1919 au Royaume-Uni.

….Et protéger aussi les hommes avec le « code de Nuremberg »extrait du jugement pénal rendu les 19-20 août 1947 par le Tribunal militaire  américain définit les conditions que doivent satisfaire les expérimentations pratiquées sur l’être humain pour être considérées comme « acceptables ».

Article 1. 1. L’expérience doit être de nature à donner des résultats fructueux pour le bien de la  société, impossibles à obtenir par d’autres méthodes ou moyens d’étude, et non aléatoires et  inutiles par nature.

Article 2. L’expérience doit être conçue et fondée sur les résultats de l’expérimentation animale et  sur la connaissance de l’histoire naturelle de la maladie ou de l’autre problème étudié, de telle sorte  que les résultats attendus justifient la réalisation de l’expérience.

Le principe des 3R

L’idée de Marshall Hall a été reprise et élargie par l’approche alternative de William Russell (1925-2006) et Rex Burch (1926-1996) dans leur ouvrage rédigé en 1959 sur les principes des 3Rs. Ils posent les Principes d’une technique expérimentale conforme à l’éthique (“The Principles of Humane Experimental Technique”). Donnant pour acquis que l’expérimentation animale serait nécessaire aux progrès thérapeutiques humains, ces principes préconisent, pour des raisons morales évidentes, de prendre en compte la souffrance animale, d’utiliser le moins d’animaux et de limiter leur souffrance.

Règle des 3R : Reduce – Refine – Replace

Réduire : le nombre d’animaux utilisés tout en gardant un effectif optimal pour la validation scientifique de l’expérimentation (exemple : analyse statistique préalable du nombre de sujets nécessaires ou utilisation de techniques de pointe comme l’imagerie médicale permettant un suivi longitudinal du même animal…).

Raffiner la méthodologie, c’est à dire mettre en oeuvre des techniques réduisant la souffrance animale en respectant au mieux son bien-être (exemple : utilisation de méthodes non invasives, choix de modèles de pathologies spontanées plutôt qu’induites…).

Remplacer si possible le modèle animal vertébré par une approche alternative soit des espèces non sensibles soit des modèles non vivants (exemple : expérience un vitro ou modèles mathématiques…).

Le nouveau statut juridique de l'animal

Gandhi disait « on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux ».

Le regard mécanistique sur les animaux a régné près de 3 siècles et a vu sa fin avec la publication du livre de Ruth Harrison « Animal Machines » en 1964 qui présente un regard critique contre l’élevage intensif. 
En réponse, le ministère britannique de l’Agriculture (Brambell), en 1967 a créé le tout premier Comité pour le bien-être des animaux d’élevage qui en 1979 devient le Farm Animal Welfare Council. Le fruit fondamental de ce comité est la définition de 5 libertés principales des animaux sous la responsabilité humaine. Ce concept fait ressortir les besoins fondamentaux  indispensables pour le bien-être d’un animal.

En France, c’est la loi de 1976 qui a véritablement édifié la politique de protection animale, en conférant à l’animal le statut d’être sensible.

En 1999, grâce à une nouvelle loi de protection animale, le code civil français a été modifié, afin que les animaux, tout en demeurant des biens, ne soient plus assimilés à des choses.

Le 16 février 2015, la loi modifie de nouveau le code civil en qualifiant les animaux comme des êtres doués de sensibilité :
Art. 515-14. – Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens.

La législation sous l'impulsion européenne

La convention STE N°123 (conseil de l’Europe)

1985 Devoir moral de respecter les animaux dans le cadre de leur utilisation à des fins scientifiques.

La Directive n°1986/609/CEE

Harmonisation des pratiques entre les états membres en instaurant un cadre de protection en assurant à ces animaux des soins adéquats, et en empêchant que des douleurs ou souffrances inutiles ne leur soient infligées. (Notion de méthodes alternatives / déclaration des protocoles douloureux)

  • Obligation d’agrément pour les établissements
  • Obtention obligatoire d’une autorisation nominative d’expérimenter

La Directive n°2010/63/UE

Si la règle des 3 R est solidement ancrée dans cette directive de nouvelles dispositions plus contraignantes pour l’utilisation d’animaux en recherche biomédicale ont pour objectif d’optimiser les méthodologies employées pour diminuer la douleur animale tout en garantissant un niveau de résultats scientifiques élevé. De plus, cette utilisation doit être pleinement justifiée scientifiquement. Ainsi les avantages escomptés doivent l’emporter sur les préjudices causés aux animaux.

La transposition en droit français par le décret no 2013-118 du 1er février 2013 et par quatre arrêtés ministériels.
Ces arrêtés définissent :

Par ailleurs, le respect du Code de la santé publique en matière d’utilisation des médicaments impose des prescriptions réglementaires qui sont précisées par l’Arrêté Ministériel ci-dessous